Le temps des stratagèmes politiques

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Par Sidy DIOP, journaliste

Le Président a parlé ! Chose rare qui mérite d’être soulignée. Il a accordé une interview au très placide El Hadj Assane Guèye de la Rfm. Macky Sall nous a habitués à réserver ses proclamations aux publications étrangères doctement reprises par la presse locale qui, faute de merles se contentait des grives. Mais voilà que par une heureuse inspiration, le président de la République s’est, pour une fois, tourné vers une radio sénégalaise. Le contexte, le jour choisi (la korité) et la rareté de la parole présidentielle ont, d’avance, assuré la grande audience de cette prise de parole. Était-ce suffisant pour pardonner les nombreuses insuffisances de cet exercice ? En communication politique, toute prise de parole est un prétexte pour délivrer un (des) message(s). Or, depuis la fin de l’émission, on se pose encore moult questions. Fallait-il mobiliser l’attention des Sénégalais pour un remake des discours du 31 décembre et du 3 avril ? La litanie sur les réalisations est très bien connue, il était plutôt attendu sur des questions qu’il a esquivées avec une habileté grivoise.

Président-politicien

Le moteur mackiste fonctionne avec des explosifs multiples comme carburant : la provocation, la rupture, la transgression et l’attaque pour mieux se défendre. Ainsi, soutient-il, « il n’y a aucun détenu politique au Sénégal » ; « aucune marche pacifique n’a été interdite » ; « je ne dirais ni oui ni non (sur sa candidature en 2024) et que « l’opposition a intérêt à venir dialoguer avec la majorité ». Il n’y avait personne en face de lui pour contester ses attendus ou lui rappeler simplement qu’au-delà de la querelle sémantique, des centaines de militants, de responsables d’un parti politique et de figures de la société civile sont dans les geôles sénégalaises soit pour délit d’opinion soit pour participation à des manifestations non autorisées. Pourquoi, lui qui a été si formel sur sa non-participation à la présidentielle de 2024 au point de l’écrire dans son livre, a-t-il changé de braquet en prenant le risque d’entretenir la sempiternelle polémique sur la limitation des mandats ? Sait-il qu’il n’y a jamais eu de débordement lors des manifestations autorisées et encadrées ? Enfin, n’est-il pas incongru d’appeler à un dialogue politique à un battement d’aile de la présidentielle ? Voudrait-il négocier sa participation pour ouvrir le jeu aux bannis ? Bref, les questions et les relances ne manquaient pas pour donner plus de relief à cet entretien. Espérons que lors de la prochaine sortie, le journaliste saura se montrer réactif tout en respectant, évidemment, les règles de la bienséance.
On sort de cet entretien avec une certitude. Macky Sall est, aujourd’hui, dans une posture politicienne plus que présidentielle. Depuis un bon moment, il « encaisse ». Mais il le fait avec une apparente placidité qui en dit long sur sa combativité. Boxeur styliste plutôt que puncheur, il est convaincu que, même acculé dans les cordes, saoulé de coups et promis au KO, l’on peut toujours reprendre de l’initiative, avancer et gagner. Il suffit, pour ce faire, de se cramponner, de saisir la moindre occasion de contre et de démontrer qu’il n’a rien perdu de sa vivacité et de son habileté. En appelant à dialoguer, particulièrement sur les questions liées à l’élection présidentielle de février 2024, il transfère la pression à l’opposition dont les figures les plus en vue sont encore dans l’expectative en ce qui concerne leur participation à cette consultation populaire. Khalifa Sall et Karim Wade, dont l’inéligibilité court encore, sont en quête de rédemption, tandis que le spectre d’une invalidation de sa candidature plane sur la tête de Sonko avec les procédures judiciaires en cours. « Pourquoi devrais-je vous laisser prendre part à l’élection si vous contestez mon droit à y être ? », semble dire le président Sall. Mimi Touré a tout de suite compris la manœuvre en défendant que Macky cherche à diviser l’opposition et la société civile. Quelle sera la réaction d’un Khalifa Sall qui sait que le temps ne joue pas en sa faveur et que sa participation à la prochaine présidentielle sera, forcément, le fruit d’un compromis ? S’il répond à l’appel au dialogue du boss de Bennoo, est-ce que ses alliés de Yewwi ne prendraient pas son acte pour une compromission ? Sonko cédera-t-il aux multiples appels à la pacification de l’espace politique pour casser cette image de fauteur de troubles qui lui colle à la peau ? A Ziguinchor, pour la prière de la korité, il a consenti que « pour faire la paix, il faut être deux ». La société civile, de son côté, ne peut ramer à contre-courant du dialogue prôné par le président de la République sous peine de donner de la consistance aux accusations de partisannerie qui fusent des rangs du pouvoir. On le voit, Macky a lancé un missile à têtes multiples. Ses cibles sont averties.

« Je t’aime, moi non plus »

Idrissa Seck a adressé une longue lettre de démission à Macky Sall dans laquelle il n’a pas été avare en éloges avec son ex-allié. Le déroulé de la rupture, pour peu qu’on s’y penche, laisse entrevoir une entente tacite pour la conservation du pouvoir. Dans l’optique d’un deuxième tour à la présidentielle de février 2024, Macky ne voudrait pas se retrouver dans la posture de Wade en 2012 en asséchant son bassin d’électeurs dès le premier tour. Il compte donc sur un Idrissa revêtu de ses oripeaux d’opposant pour glaner le maximum de voix dans le camp d’en face et dans celui des indécis tout en mobilisant au moins son électorat de 2012 (8%). Retrouvailles programmées au second tour avec, probablement, le ralliement du Pds.
Macky Sall, cependant, doit bien relire ce vieux texte chinois intitulé « Manuel secret de l’art de la guerre ». Il y a deux, parmi les 36 stratagèmes décrits, qui doivent particulièrement inspirer le désormais ex-président du CESE. Le premier dit ceci : « Couvrir les arbres de fleurs ». En d’autres termes, « se servir des circonstances pour déployer toutes ses capacités offensives, en sorte que l’on réussit à donner une impression de puissance avec des forces réduites ». Idrissa Seck qui dit retrouver son statut de « chef de l’opposition » sait parfaitement qu’il n’en a plus l’envergure, mais espère que la stratégie du verbe pourra le replacer dans l’échiquier.
Macky Sall devra, par contre, prêter attention au deuxième stratagème : « D’invité, se transformer en maître de céans. » Plusieurs étapes sont ici nécessaires : se battre pour se faire admettre comme invité ; guetter l’entrebâillement de la porte ; y introduire son pied ; s’emparer du commandement ; occuper la place du maître, c’est-à-dire s’emparer du commandement de l’armée d’autrui. Le patron de l’Apr, qui a hissé la stratégie politique au rang de méthode de gouvernance, sait qu’avec un Idy revanchard comme jamais, la surprise est toujours au bout du compliment.

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