Au nom du peuple !

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« Le peuple a choisi ». « Le peuple s’est prononcé ». « Le peuple a décidé ». Ce bon peuple sénégalais est le plus grand dénominateur commun de tous les « combats » politiques du moment. Il légitime nombre de discours et délégitime moult postures. Comme une pierre précieuse, il sertit nombre de slogans politiques et, dans sa version wolofisée, ne promet rien de moins que de placer le Sénégalais au centre de l’engagement politique. « Askan Wi » (le peuple) est la star du vocabulaire politique : « Yewwi Askan Wi », « Wallu Askan Wi », « Ndawi Askan Wi »… Un peuple. Un but. Une foi. Jamais notre devise n’a été autant démenti par ses nombreux porte-voix qui, tous, ont une visée singulière de la référence au peuple. Charles Dickens écrivait avec justesse : « Ma confiance dans le peuple gouvernant est infinitésimale ; ma confiance dans le peuple gouverné est infini ».
Jamais le peuple n’a été autant à la mode. Un discours de radicalité s’est construit sur ses supposés attendus et brandi comme une exigence de changement. « Le peuple exige » une meilleure gouvernance, une redevabilité dans la gestion de nos ressources et, surtout, l’avènement d’une nouvelle génération d’idées en rupture avec les pratiques « mafieuses » de l’élite dirigeante. Tout se passe comme si, le peuple, d’une seule voix, a décidé de déléguer sa souveraineté non à ceux qu’il a élus le plus régulièrement du monde, mais à ceux qui aspirent à les remplacer.
La formule moderne reprenant l’idée de « peuple » est celui de citoyen. Des enseignants dévoués corps et âme à l’instruction des enfants ; des soignants qui s’épuisent jour et nuit au chevet de leurs patients ; des chefs d’entreprise et des salariés qui sacrifient tout pour produire, exporter, conquérir des parts de marché ; des policiers qui se mettent en danger pour protéger leurs concitoyens ; des militaires qui risquent leur vie pour leur pays. Des hommes et des femmes, une majorité qui vit aux marges des promesses de la République dans un secteur informel où le maître-mot est la débrouille. Des jeunes désemparés qui qui se laissent bercer par le chant des jours meilleurs entonnés par des marchands de fariboles. Tous aspirent, certes, à un mieux-être, mais ne murmurent pas aux oreilles des hommes politiques et ne consentent à leur confier leurs suffrages qu’à des moments bien définis.

Peuple et populisme

Il est de bon ton, aujourd’hui, de parler à la place du peuple. Quelques milliers de jeunes réunis quelque part pour exprimer leur soutien à leur leader politique n’hésitent pas à décréter qu’ils sont le peuple et qu’ils ont choisi le prochain président de la République. Un homme politique très en vogue, Ousmane Sonko pour ne pas le citer, n’hésite pas à convoquer le peuple dans ses multiples sorties. Mais ce peuple qui fait bloc et auquel tous doivent s’identifier en s’oubliant eux-mêmes au nom de l’impératif « patriotique » est un des piliers du discours populiste. Car, pour le populisme, puisque l’union fait la force, il est normal de forcer l’union. C’est ce qui explique, sans doute, les bisbilles au sein de Yewwi Askan Wi où les autres entités politiques sont réduites à un rôle de faire-valoir pour bénéficier d’un quitus de fréquentabilité. L’union se fait ici au profit exclusif de celui qui prétend incarner les ambitions de ses concitoyens. Toute autre posture que l’alignement systématique est vouée aux gémonies par la horde des souteneurs. Aïda Mbodj, Malick Gackou, Cheikh Tidiane Dièye ou encore Cheikh Youm l’ont compris et multiplient les gestes de soumission au « champion ». Contrairement à un Khalifa Sall soumis à la férocité des meutes numériques pour ses envies de dialogue avec le pouvoir.
Le second pilier du populisme est le refus du désaccord. Plus le peuple est fort, moins il tolère la différence en son sein. Il n’y a dès lors de place pour la dissidence ou l’opposition, sinon contre une entité jugée extérieure au groupe. Et dans ce cas particulier, l’unité se présente comme un impératif absolu. La cohésion sociale devant l’adversaire s’impose de manière artificielle par l’alternative entre « ou bien vous êtes avec nous, ou bien vous êtes contre nous ». Et si vous êtes contre nous, alors vous êtes avec « eux », les «autres», dont la différence est jugée en soi comme une marque d’hostilité à notre égard. C’est ce qui arrive en ce moment à Barthélémy Dias et à son mentor. C’est ce qui est arrivé à la liste de « Aar Sénégal » dont la liste lors des dernières législatives a été houspillée par Ousmane Sonko lui-même en la qualifiant de « pro-pouvoir ».
Le troisième pilier est enfin le refus de la médiation. Selon Christian Nadeau, professeur au département de philosophie de l’Université de Montréal, « le refus des médiations est tout à fait conforme à la volonté de faire bloc à tout prix. Nul besoin de traits d’union entre les individus lorsque ceux-ci se fondent en une seule totalité homogène ». Dans cette perspective, en temps de crise comme celle que nous connaissons en ce moment, les médiateurs sont perçus comme des obligés de l’ordre établi qui cherchent à affaiblir la contestation. « La totalité du peuple se soumet au pouvoir sans différenciation et ainsi personne n’a même le droit d’y voir une contrainte, puisque chaque volonté s’identifie à celle du chef », écrit Nadeau. Car le populisme érige la pensée unique en vertu. Tous ceux qui ont eu le culot de contredire le chef ont goûté aux récriminations des « patriotes ». Pour bien paraître aux yeux du peuple, tout accepter va de soi. Exprimer un avis divergent est vue comme une trahison. Il faut suivre les édits du chef à la règle, même s’ils heurtent le bon sens. On comprend pourquoi de nombreuses voix au Sénégal ont préféré le confort du silence à la témérité de la parole raisonnée.

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